« Chaque pas compte »

Publié le par Shaya Onthemoon

Depuis longtemps, les mouvements de foule m’effraient un peu. En fait, depuis que mon père et moi nous étions retrouvés écrasés contre une grille en attendant l’ouverture d’un stade – pressés par l’impatience des spectateurs derrière nous. Depuis, j’ai bien sûr participé à des manifestations étudiantes et à des rassemblements politiques, mais toujours en veillant à rester près d’une sortie. Et dès que j’entre dans un lieu fermé où se tient une foule importante (que ce soit en boîte de nuit ou en salles de conférences), mon premier réflexe est de repérer les issues de secours.

Quand on m’a proposé de participer à la Rochambelle, j’avoue avoir hésité quelques secondes : comment allais-je supporter de me trouver dans une foule de plusieurs milliers de femmes, dans un parcours balisé, peut-être fermé ?

Vous n’allez pas me croire.

J’ai adoré ça.

Tout a commencé par une usurpation d’identité : on m’a proposé de prendre la place de ma voisine, laquelle se prélassait sur une plage méditerranéenne. J’ai continué par une tricherie : ma voisine avait été inscrite parmi les « coureuses » ; en cachant le numéro sur ma poitrine avec ma veste (largement justifiée au vu de la météo...), je me suis glissée au milieu des marcheuses, pour rester avec la belle-maman et la fille de ma voisine. Et parce que cela faisait des mois que je n’avais pas couru : même cinq petits kilomètres peuvent se dévoiler difficiles à terminer dans de telles conditions. Le tracé prévoyait de nous faire passer autant sur l’asphalte du périphérique que dans les chemins qui traversent les parcs de Caen (notamment la très jolie « vallée des jardins »).

Le nombre de participantes était si grand que nous avons mis près de vingt minutes à atteindre la ligne de... départ. Le piétinement a continué encore vingt-cinq minutes : lorsque j’ai vu le panneau annonçant les deux kilomètres, il était 19h45. Cela faisait 45 minutes que le départ avait été annoncé. Dans la foule, j’avais déjà perdu mes compagnes de marche. À l’idée de piétiner encore sur trois kilomètres, un déclic s’est déclenché dans ma tête : il me fallait arriver au bout, et vite. Je me suis engagée sur le côté du chemin pour dépasser plus facilement.

Cela m’a permis de découvrir nombre de surprises sur le trajet : là, sous un pont, se tenaient trois hommes en maillot de bain (héroïques par ce temps !) avec perruques et autres accessoires amusants. De temps en temps, de petits orchestres se tenaient sur les trottoirs ou le long des chemins. Dans la vallée des jardins, deux d’entre eux portaient d’immenses pancartes en carton sur lesquelles ils avaient inscrit au feutre leurs prénoms et leurs numéros de téléphone portable. En ville, des banderoles étaient accrochées aux fenêtres ; beaucoup d’hommes avaient décidé ce jour-là de se retrouver pour regarder notre cortège incroyable.

Ma marche rapide m’a permis de remonter le cortège, dans lequel les animations ne manquaient pas. Les participantes étaient souvent en groupes que distinguaient casquettes décorées, perruques exubérantes, costumes loufoques : entreprises, lycées, associations, groupes d’amies – mon cœur s’est serré à la lecture de la banderole « X..., courage, nous sommes toutes avec toi », sachant que nous courions pour la recherche contre le cancer. Certaines jouaient de la musique tout en marchant : percussions, xylophones, sifflets, maracas... Les spectateurs au bord de la route applaudissaient et nous encourageaient. Là, au creux du ventre, je sentais monter un enthousiasme incroyable.

 

Lorsque j’ai enfin atteint le stade où se tenait la ligne d’arrivée, j’avais parcouru plus de trois kilomètres en une demi-heure : j’étais très fière de moi ! Et surtout heureuse d’avoir été parmi ces milliers de femmes de tous âges, de jeunes filles, voire de petites filles. Enfin, on voyait les femmes ! Je me suis demandé si certains hommes particulièrement misogynes n’avaient pas tremblé face au déferlement joyeux de cette « minorité » qui représente plus de la moitié de la population. Était-ce possible que tous ceux qui nous avaient applaudies et encouragées soient ceux qui nous briment dans le monde du travail, qui nous insultent lorsqu’ils sont au volant, qui nous bousculent voire nous agressent au gré de leurs pulsions ?

 

Il m’a semblé que la bonne humeur et la force dégagées par cette marche constituaient un formidable bras d’honneur à l’imbécilité et la méchanceté.

Cette année, le nombre record de participantes à la Rochambelle a permis de faire un don de 80 000 euros aux associations Mathilde et Étincelle Basse-Normandie.

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